Monday, April 25, 2011

Dernières remarques sur les pensées de M. Pascal et sur quelques autres objets. (1777)

Dernières remarques sur les pensées de M. Pascal et sur quelques autres objets. (1777)

Et voilà ce que c'est d'avoir les tempéraments différents:


Pascal:


LXX. — Tous les hommes désirent d'être heureux; cela est sans exception. Quelques différents moyens qu'ils y emploient, ils tendent tous à ce but. Ce qui fait que l'un va à la guerre et que l'autre n'y va pas, c'est ce même désir qui est dans tous les deux accompagné de différentes vues. La volonté ne fait jamais la moindre démarche que vers cet objet. C'est le motif de toutes les actions de tous les hommes, jusqu'à ceux qui se tuent et qui se pendent.
Et cependant, depuis un si grand nombre d'années, jamais personne, sans la foi, n'est arrivé à ce point où tous tendent continuellement. Tous se plaignent, princes, sujets, nobles, roturiers, vieillards, jeunes, forts, faibles, savants, ignorants, sains, malades, de tous pays, de tout temps, de tous âges, et de toutes conditions.




Voltaire:


Je sais qu'il est doux de se plaindre; que de tout temps on a vanté le passé pour injurier le présent; que chaque peuple a imaginé un âge d'or, d'innocence, de bonne santé, de repos, et de plaisir, qui ne subsiste plus. Cependant j'arrive de ma province à Paris; on m'introduit dans une très belle salle où douze cents personnes écoutent une musique délicieuse: après quoi toute cette assemblée se divise en petites sociétés qui vont faire un très bon souper, et après ce souper elles ne sont pas absolument mécontentes de la nuit. Je vois tous les beaux-arts en honneur dans cette ville, et les métiers les plus abjects bien récompensés, les infirmités très soulagées, les accidents prévenus; tout le monde y jouit, ou espère jouir, ou travaille pour jouir un jour, et ce dernier partage n'est pas le plus mauvais. Je dis alors à Pascal: Mon grand homme, êtes-vous fou?

Je ne nie pas que la terre n'ait été souvent inondée de malheurs et de crimes, et nous en avons eu notre bonne part. Mais certainement, lorsque Pascal écrivait, nous n'étions pas si à plaindre. Nous ne sommes pas non plus si misérables aujourd'hui.